Procédure disciplinaire dans les associations

Publié par Maud Réveillé le

Cette page vise à donner des outils à des associations qui voudraient mettre en place des procédures disciplinaires internes – notamment dans le cadre de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Elle n’est pas rédigée par des juristes : c’est le fruit d’un travail de compréhension de militant-es qui pour certain-es avaient des notions de droit. Elle est rédigée en essayant d’être claire pour des non-juristes.

Oui, les assos peuvent mettre en place des procédures disciplinaires

Ce sont les statuts de l’association qui en donnent généralement l’armature : pour les plus petites associations, on a le plus souvent juste la mention de la possibilité d’exclure / radier un-e adhérent-e. Pour les plus grosses associations, ou celles qui ont déjà été amenées à gérer des situations disciplinaires, les statuts ou le règlement intérieur peut être bien plus détaillés sur à la procédure à suivre.

Les associations étant une forme de contrat passée entre des personnes, elles relèvent du contrôle du juge civil car c’est lui qui juge des contrats. On l’appelle actuellement tribunal judiciaire en première instance, cour d’appel en appel, et cour de cassation en cassation. C’est-à-dire qu’un-e adhérent-e sanctionné-e par son association peut aller voir le/la juge pour lui demander de dire que cette sanction doit être annulée, avec comme fondement que ce serait une mauvaise application du contrat d’association ou bien d’autres principes de droit (le contrat d’association doit respecter les principes de droits supérieurs comme la loi, la constitution, etc). Le juge peut décider d’annuler la sanction et/ou de reconnaître qu’il y a eu un préjudice pour la personne du fait de cette sanction, et donc dire que l’association doit verser des dommages et intérêts.

La procédure disciplinaire interne à une structure est indépendante des procédures pénales ou administratives que peut engager l’Etat. En matière de VSS, ça veut dire qu’il n’y a pas besoin qu’une personne soit condamnée par le juge pénal pour qu’on puisse le/la sanctionner dans son association, ou, dans le secteur des associations de jeunesse, que ce n’est pas parce que les services de Jeunesse & Sports n’ont pas sanctionnés un animateur qui a commis des VSS, que son association ne peut pas le sanctionner. Par contre, les décisions de l’Etat ou des juges s’imposent à l’association : un animateur sanctionné d’une interdiction d’exercer auprès de mineur-es par ces autorités ne peut pas continuer à encadrer des jeunes dans l’association. Pour être plus précise, cette indépendance de la procédure disciplinaire en matière de VSS notamment est très claire pour les sanctions par l’employeur (privé comme public), mais je n’ai pas trouvé de jurisprudence spécifique aux associations dans ce domaine.

Qui peut prendre la sanction ?

C’est la personne ou l’organe désigné par les statuts qui a ce pouvoir : ça peut être le conseil d’administration, le/la président-e s’il y en a un-e, mais aussi d’autres organes désignés par les statuts ou mandatés par des personnes désignées par les statuts (conseil de discipline, commission de lutte contre les VSS, responsable d’une région, etc).

Si les statuts ne prévoient rien, alors c’est l’assemblée générale des adhérent-es qui a par défaut ce pouvoir (Cour de Cassation, 4 décembre 2019, 17-31.094).

Il faut prendre garde à l’impartialité et aux conflits d’intérêt des personnes qui prennent la décision, c’est-à-dire qu’elles ne soient pas directement concernées par ce qui est reproché à la personne. Les juges professionnels ou les membres de conseil de discipline dans la fonction publique sont soumises à des règles strictes (liens amicaux, conflits, etc) dans ce domaine, mais il est probable que le juge apprécie ces éléments plus souplement pour les associations, qui par nature réunissent des personnes qui ont des liens d’intérêt commun. Je n’ai cependant pas trouvé de jurisprudence sur le sujet.

Par exemple, le juge a annulé une sanction prise par un CA dans lequel le président siégeait alors qu’il était reproché aux personnes d’avoir diffusé un courrier qui critiquait le président.

Il est important de souligner que le fait que les statuts ne prévoient rien pour réagir à une situation d’urgence ne signifie pas que l’association ne peut rien faire. Le/la juge a ainsi pu estimer que dans une situation urgente, le président d’une association pouvait suspendre à titre conservatoire (c’est-à-dire temporairement, en attendant que l’AG puisse décider du fond de l’affaire) un-e adhérent-e ou certain-es de ses pouvoirs, alors même que les statuts ne prévoyaient pas cette possibilité. Le ou la présidente doit agir « dans l’intérêt » de l’association, et ne prendre que les « mesures urgentes qu’exigent les circonstances » (Cour de cassation, 3 mai 2006, 03-18.229).

Enfin, les statuts peuvent prévoir des modalités pour faire appel d’une sanction en interne de l’association, mais ce n’est pas obligatoire (par ex: décision par le CA et appel devant l’AG).

La procédure à suivre

En principe, il faut suivre la procédure prévue dans les statuts ou le règlement intérieur. Le/la juge peut annuler une sanction qui aurait été prise sans respecter la procédure. Cependant, cette procédure ne doit pas forcément être très formelle (courriers, lettres avec accusé de réception, etc : le juge a ainsi estimé que « il faut se garder de vouloir transposer un formalisme aussi soutenu qu’en droit du travail, sauf à priver de toute existence les petites associations » (Cour de cassation, 17 mars 2011, 10-14.124) . Ainsi, plus l’association est petite, plus le juge acceptera qu’elle fasse au mieux au vu de ses moyens (oralité, simple mail, etc), et inversement.

A noter que certaines associations peuvent être tenues de respecter les procédures prévues par les fédérations auxquelles elles appartiennent : c’est le cas notamment des associations sportives du fait des dispositions du Code du sport.

Par exemple, le règlement disciplinaire de la Fédération française de Tir prévoit que la séance doit être publique, donc la sanction prise par une association qui y appartient lors d’une séance non-publique est annulée (Cour d’appel de Pau, 7 janvier 2021, n° 19/02272)

Cette procédure doit respecter, dans tous les cas et même si ce n’est pas écrit, des principes qui découlent notamment des droits de l’homme. Il s’agit des « garanties de la défense et du principe du contradictoire », qui visent globalement à respecter le droit de toute personne à se défendre avant d’être sanctionné-e (Cour de Cassation, 22 avril 1997, 95-15.769).

Donc, si vos statuts ne prévoient rien, à vous le moment venu de construire votre procédure, en respectant ces grands principes.

Les juges ont eu l’occasion de préciser quels sont ces droits qui s’imposent aux associations :

  • la personne doit avoir été informée de manière suffisamment détaillée de ce qui lui est reproché
  • elle doit avoir été informée des ou de la sanctions qui sont envisagées
  • elle doit avoir bénéficié d’un délai suffisant pour préparer sa défense, et si elle demande un report de la date pour de bonnes raisons, il doit être accordé avec un délai suffisant – sauf s’il y a une forme d’urgence à décider
  • elle doit avoir la possibilité de se défendre auprès des gens qui vont prendre la décision avant qu’iels la prennent, et avoir été informée de ce droit.
  • un flou existe sur le fait qu’elle doit avoir été informée explicitement du droit de se taire devant l’instance qui prend la décision, car il n’y a pas de jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a décidé que c’était obligatoire pour la fonction publique, mais pas obligatoire pour le droit du travail privé. Dans le doute, on conseille de donner cette information.
  • la personne doit pouvoir être accompagnée d’un défenseur (avocat ou autre) si elle le souhaite. Par contre, le juge a statué qu’il n’était pas obligatoire d’informer la personne de cette possibilité (CA de Montpellier, 30 avril 2024, 22/02978).
  • la sanction doit être prise après la défense de la personne (pas avant). Elle doit être motivée, c’est-à-dire dire explicitement les motifs retenus pour sanctionner. En effet, même si la personne a été informée avant de ce qu’on lui reprochait, elle s’est défendue : il est donc possible qu’une partie des motifs aient été retirés. Il faut donc lister ceux finalement retenus dans la décision de sanction.

Par exemple, le juge a considéré que les droits de la défense n’avaient pas été respectés parce qu’une AG s’était tenue pour exclure un adhérent alors que cet adhérent avait prévenu que pour des raisons de santé il ne pourrait pas être présent pour se défendre, et qu’il n’y avait pas d’urgence à procéder à cette exclusion.

Quelles sanctions peut-on prendre?

Là encore, si des sanctions sont limitativement prévues par les statuts ou le règlement intérieur, il faut respecter ce qui est prévu. On peut donc conseiller de lister des sanctions possibles mais sans les limiter (en disant par exemple « notamment »).

La sanction la plus évidente est l’exclusion de l’association. Mais on peut en imaginer beaucoup d’autres : suspension pendant une période donnée, interdiction d’être bénévole, restriction du niveau de responsabilité possible, obligation de se former, interdiction de gérer les moyens financiers de l’association, … Il faut cependant rester dans des sanctions qui ont un lien avec la vie associative et l’objet de l’association. Sans que je n’ai de décision du juge à ce sujet, je pense qu’il n’est pas non plus possible de prendre une sanctions qui priverait définitivement la personne de ses droits de base d’adhérent-e à l’association (par ex: plus jamais le droit de voter en AG).

Attention, on ne peut pas prendre des sanctions déguisées sans respecter la procédure disciplinaire. Par exemple, refuser l’adhésion d’une personne qui était adhérente depuis plus de 15 ans (CA de Grenoble, 19 juillet 2022, 20/03089).

Pour quels motifs peut-on sanctionner ?

Ce n’est pas une bonne idée que les statuts listent précisément les motifs, car la réalité est souvent plus créative que ce que l’on imagine à l’avance : si vous listez précisément les motifs, alors en principe vous ne pouvez plus sanctionner pour d’autres motifs. De manière générale cependant, il est possible de sanctionner le non-respect des statuts eux-mêmes.

On mentionne généralement des « motifs graves » pour l’exclusion. Le juge a précisé que « le motif grave n’est pas celui du droit du travail en matière de licenciement mais un ensemble de faits rendant impossible le maintien dans une association de cette nature« .

Sans que je n’aie de jurisprudence à l’appui, on peut à mon sens considérer que tous les agissements qui relèvent du code pénal, et notamment les violences sexistes et sexuelles, rentrent dans cette notion de motif grave.

Quelles « preuves » et que communiquer à la personne mise en cause?

Globalement, ce que l’on reproche à quelqu’un-e doit pouvoir être étayé par des éléments : des témoignages, des mails, des sms, etc. On peut recourir à ce que l’on appelle « un faisceau d’indices » c’est-à-dire plusieurs éléments qui pris ensemble permettent de conclure que les choses se sont bien passées. La procédure disciplinaire des associations n’est pas soumise aux mêmes principes que le procès pénal, avec par exemple le fait de devoir établir que la personne avait conscience de ce qu’elle faisait (l »intentionnalité »).

Je n’ai pas trouvé de jurisprudence applicable aux associations, mais en droit disciplinaire de la fonction publique ou en droit du travail, le harcèlement sexuel peut ainsi être établi même sans preuve de l’intention de l’auteur de les commettre (Cour de cassation, 25 mars 2020, 18-23.682). Il en est de même pour les discriminations et le harcèlement discriminatoire (voir le guide du Défenseur des droits). En matière de discriminations (dont les VSS sont d’après le Défenseur des droits une déclinaison en tant que discriminations fondées sur le sexe/genre), la loi prévoit l’aménagement de la charge de la preuve : c’est-à-dire que la personne qui signale doit seulement apporter des éléments qui laissent présumer la discrimination, et c’est ensuite à la personne/structure mise en cause de prouver que les actions n’étaient pas des discriminations.

Les témoignages anonymes (dont on ne connait pas l’auteur-e) ne sont pas valables. Par contre, on peut produire des témoignages anonymisés (c’est-à-dire dont on connait l’auteur-e mais dont a masqué l’identité pour le ou la protéger) (Conseil d’État, 09/10/2020, 425459 et Cour de Cassation, 19 avril 2023, 21-20.310). En principe, il faut que ces témoignages soient alors accompagnés d’autres éléments venant accréditer les faits reprochés.

En principe, parce que la personne doit connaître de manière précise les faits qu’on lui reproche, les éléments du dossier doivent lui être communiqués (ou elle doit être informée qu’ils sont disponibles). Cependant, le juge a pu considérer par exemple que dès lors que le courrier envoyé à la personne mise en cause était suffisamment détaillé, une association avait pu valablement refuser de lui communiquer l’intégralité du rapport d’enquête interne dans une affaire de harcèlement moral (Cour d’appel de Paris, 22 mars 2024, 23/15775). Mais le juge a pu juger l’inverse dans une autre occasion (Cour d’appel de Paris, 18 janvier 2024, 23/15208).

Le juge va globalement rechercher à évaluer l’équilibre entre le droit de la personne à se défendre et le fait que la communication de certains document porterait atteinte au respect de la vie privée des personnes ayant témoigné ou créerait des risques de représailles.

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